Chère madame,
Votre situation, malheureusement fréquente pour les descendants d'Algériens nés avant 1962, est complexe et touche à plusieurs aspects du droit de la nationalité française. Reprenons les points clés et les options qui s'offrent à vous et à votre mère.
1. La situation de votre grand-père (né en 1941 à Alger)
Votre grand-père est bien Français de naissance car né en Algérie avant le 3 juillet 1962. Le fait qu'il ait obtenu un CNF en 1992 en tant que "Français né en France" et qu'il ait effectué son service militaire confirme cette nationalité.
Le fait qu'il n'ait jamais vécu en métropole ni eu de passeport ou carte d'identité français est courant. Sa nationalité ne dépend pas de ces éléments, mais bien de son lieu de naissance et de son statut avant l'indépendance de l'Algérie.
2. Le refus de CNF de votre oncle (Article 47 du Code Civil et possession d'état)
Le refus basé sur l'article 47 du Code civil est inquiétant. Cet article concerne la force probante des actes d'état civil étrangers et stipule que la preuve contraire à ce qu'ils énoncent peut être rapportée si ces actes sont irréguliers, falsifiés ou que les faits qu'ils déclarent ne correspondent pas à la réalité.
Le fait que l'administration invoque "l'absence de possession d'état de Français" est également crucial. La possession d'état est le fait de se comporter comme un Français et d'être reconnu comme tel (par exemple, avoir des documents français, voter, travailler pour l'administration française, etc.).
Les lacunes dans les actes d'état civil de votre grand-père (absence d'âge, de profession des parents, mariage par jugement sans témoins) sont probablement la source du problème. L'administration pourrait estimer que ces lacunes rendent les actes moins fiables ou qu'elles empêchent de prouver de manière certaine la filiation française ou le statut de ses ascendants à l'époque coloniale. Cela peut être une tentative de l'administration de remettre en cause la filiation ou le statut de Français de votre grand-père effectivement transmissible.
3. La situation de votre mère (60 ans, jamais eu de documents français)
L'article 30-3 du Code civil est en effet une difficulté potentielle. Il prévoit que la nationalité française ne peut pas être établie lorsque le demandeur et ses ascendants (y compris votre grand-père) n'ont pas eu la possession d'état de Français depuis plus de 50 ans.
Pour votre mère : N'ayant jamais eu de documents français ni de possession d'état, elle risque fortement de se voir opposer cet article 30-3, surtout si l'administration considère que la lignée n'a pas manifesté sa nationalité française.
Le CNF de votre grand-père en 1992 et de ses enfants en 1995 : Ces éléments sont des arguments très forts contre la désuétude (article 30-3). Ils prouvent que la nationalité française a été reconnue et manifestée dans la filiation il y a moins de 50 ans (en fait, il y a environ 30 ans). L'administration ne peut pas ignorer des décisions de justice ou des CNF déjà délivrés à d'autres membres de la fratrie. Le refus de votre oncle est d'autant plus contradictoire.
4. Votre situation (née en 2001, mineure à l'époque de la reconnaissance de votre grand-père)
Votre situation est plus favorable concernant la désuétude (article 30-3).
La règle de l'article 30-3 ne peut pas être opposée aux personnes qui étaient mineures au moment où leur parent (ou grand-parent, comme votre grand-père) a été reconnu Français par un CNF ou un jugement définitif.
Puisque vous êtes née en 2001 et que votre grand-père a obtenu son CNF en 1992 (donc avant votre naissance et pendant votre minorité théorique si cela avait été le cas), et que d'autres enfants de votre grand-père ont obtenu leur CNF en 1995 (avant votre naissance), la désuétude ne devrait pas vous être opposée directement. Votre droit à la nationalité française découle de votre mère, elle-même dépendante de votre grand-père.
Que conseiller et quelle stratégie adopter ?
Votre dossier est complexe et nécessite une approche stratégique et l'aide d'un spécialiste.
Faire une demande simultanément ou une après l'autre ?
Il est souvent préférable de faire une demande pour votre mère d'abord. Si elle obtient son CNF, votre demande deviendra bien plus simple. Le problème est l'article 30-3 qui pourrait lui être opposé.
Si votre mère dépose sa demande, elle pourra s'appuyer sur le CNF de son père (votre grand-père) datant de 1992 et ceux de ses frères et sœurs datant de 1995. Cela prouve que la nationalité française a été reconnue dans la lignée récemment. Le refus de votre oncle doit être contesté, car il semble contredire des décisions antérieures.
Vous pouvez également tenter votre propre demande directement. Si l'article 30-3 est invoqué, vous aurez l'argument de votre minorité à l'époque où votre grand-père a été reconnu français.
L'impact des lacunes dans les actes d'état civil :
C'est le nœud du problème soulevé par l'article 47. Il est essentiel de tenter de combler ces lacunes ou de les justifier par d'autres preuves. Par exemple, des témoignages assermentés, d'autres documents d'époque (recensement, documents administratifs, religieux), ou des recherches généalogiques plus poussées.
Un acte de mariage par jugement n'est pas forcément un problème en soi, mais le manque de témoins peut être un argument pour l'administration.
Mes conseils :
Consultez IMPÉRATIVEMENT un avocat spécialisé en droit de la nationalité française. C'est la seule voie pour naviguer dans cette complexité.
Il pourra analyser le dossier de refus de votre oncle et les motifs précis invoqués.
Il vous aidera à monter les dossiers de demande pour vous et/ou votre mère en anticipant les arguments de l'administration.
Il saura quels documents complémentaires rechercher pour pallier les lacunes des actes d'état civil.
Il pourra juger s'il est plus stratégique que votre mère dépose sa demande en premier, ou si vous pouvez le faire directement.
Si le refus est maintenu, il sera indispensable pour engager une procédure judiciaire devant le Tribunal Judiciaire pour faire reconnaître la nationalité française (c'est souvent le passage obligé dans ces situations complexes).
Rassemblez TOUS les documents possibles :
CNF de votre grand-père (1992) et de vos oncles/tantes (1995).
Actes de naissance et mariage de votre grand-père, de sa mère (si filiation maternelle), de ses parents.
Tous les documents d'état civil de la ligne de filiation jusqu'à vous.
Le refus de CNF de votre oncle, avec les motifs exacts.
Preuves de résidence en France de votre grand-père (même s'il n'a pas vécu en métropole, mais en Algérie française avant 1962).
Preuves du service militaire de votre grand-père (en plus du CNF).
La "possession d'état" : Même si votre mère n'a pas eu de documents français, les CNF délivrés à son père et à ses frères/sœurs en 1992 et 1995 sont des preuves claires que la "possession d'état" de Français a existé dans la famille et a été reconnue par l'administration à des dates relativement récentes. C'est un argument fort contre l'application du 30-3 pour votre mère.
Votre dossier présente de solides arguments en faveur de la nationalité française, mais les points soulevés par l'administration (article 47, possession d'état) et les lacunes des actes d'état civil nécessitent une défense très méthodique. Un avocat sera votre meilleur atout.
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