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Il n'est pas rare qu'à l'approche ou immédiatement après l'aveu de cessation des paiements, une entreprise cherche à "réorganiser" en urgence son périmètre. Cela peut prendre la forme de ventes précipitées d'actifs, de transferts d'activité vers une société soeur, de cessions de fonds à des prix anormalement bas, ou encore de la mise à l'abri de stocks et de créances. Dans certains cas, il s'agit d'une tentative sincère de sauvetage. Dans d'autres, c'est une banqueroute : une manoeuvre destinée à détourner ou dissimuler des actifs, en fraude des droits des créanciers, et pénalement sanctionnée par les articles L.654-1 et suivants du Code de commerce. La frontière entre les deux est ténue, et la jurisprudence récente la trace avec une sévérité croissante.
La banqueroute vise les dirigeants de droit ou de fait d'entreprises en procédure collective qui, après la cessation des paiements, commettent certains actes gravement attentatoires aux droits des créanciers. Concrètement, il peut s'agir de détourner ou dissimuler des actifs, d'augmenter artificiellement le passif, ou encore de tenir une comptabilité fictive ou irrégulière. Ces comportements portent atteinte au gage des créanciers, c'est-à-dire à l'ensemble des biens du débiteur sur lesquels les créanciers sont censés pouvoir se faire payer.
Les sanctions sont lourdes : cinq ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende, avec des peines aggravées dans certains cas, auxquelles peuvent s'ajouter des mesures comme la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer.
L'enjeu probatoire est double. Il faut, d'une part, démontrer un acte positif - une disposition, une dissipation, une utilisation ou une cession d'actif - directement imputable au dirigeant poursuivi. Il faut, d'autre part, établir sa mauvaise foi, c'est-à-dire l'intention de soustraire cet actif aux créanciers.
La Cour de cassation rappelle deux points essentiels. D'abord, il ne suffit pas de constater qu'un bien a disparu : encore faut-il caractériser un acte précis de disposition, accompli en fraude des droits des créanciers. La chambre criminelle n'hésite pas à casser les décisions insuffisamment motivées sur ce point. Ensuite, la dimension temporelle est décisive : la banqueroute vise avant tout des actes commis après la cessation des paiements, même si certains agissements antérieurs peuvent servir d'indice sur l'intention du dirigeant ou avoir contribué à l'état de cessation des paiements.
Première scène : la vente "express" d'un actif stratégique est décidée la veille d'une requête en ouverture. Le prix est "réduit" mais il existe, l'acheteur est indépendant, la contrepartie rentre et sert la trésorerie immédiate. Dans un tel scénario, l'analyse pivote autour de la réalité de la contrepartie et de l'orientation des fonds au service de l'intérêt des créanciers. En l'absence de mise en scène frauduleuse, la qualification pénale n'est pas automatique : le juge pénal veut voir l'acte concret, son prix réel et sa destination.
Deuxième scène : l'activité est transférée, clientèle comprise, vers une société liée. Le prix est manifestement sous-évalué et immédiatement compensé par des "refacturations" internes. Le stock, quant à lui, "migre" physiquement sans trace probante. Ici, le faisceau d'indices converge vers un détournement d'actifs : l'actif utile a quitté le périmètre du débiteur au détriment du gage, via des opérations de façade. La chambre criminelle confirme régulièrement que de tels dépeçages intra-groupe caractérisent matériellement la banqueroute, sous réserve d'une motivation précise sur la date de cessation, la réalité des flux et l'intention frauduleuse.
Troisième scène : un "management buy-out" de crise est mis en place par une équipe dirigeante avec un financeur opportun. Le prix est bas, la promesse d'investissement est élevée et l'exécution se fait en quelques jours. L'opération peut être saine si elle est concurrentielle, transparente et adossée à des contreparties réelles. Elle bascule si l'on découvre, après coup, une dissimulation de créances, une disparition de stocks, ou l'organisation méthodique d'une insolvabilité visant à retarder l'aveu ou à neutraliser le gage. La Cour sanctionne avec constance ces schémas où la "réorganisation" n'est qu'un paravent à la fraude aux créanciers.
Sur la matérialité, la Cour exige un acte positif et efficace de dissipation. La simple tentative ne suffit pas : il faut que la société ait été effectivement privée de l'actif, faute de quoi la qualification tombe. Un arrêt du 13 décembre 2023 censure ainsi une décision d'appel qui n'avait pas suffisamment recherché si l'actif prétendument détourné avait réellement quitté le patrimoine, rappelant l'exigence d'une motivation serrée et la portée limitée de la tentative en matière de banqueroute.
Sur la chronologie, les décisions rappellent que l'on se place par rapport à la date de cessation des paiements et au jugement d'ouverture. S'agissant de la prescription du délit lorsque des faits apparaissent avant l'ouverture, la haute juridiction a précisé le point de départ et les conditions dans lesquelles les agissements postérieurs restent appréhendables. Là encore, l'enseigne est la lisibilité des dates et l'ancrage des actes dans le périmètre de la procédure.
Sur la motivation, un arrêt du 23 mai 2024 illustre la vigilance de la Cour : lorsqu'une cour d'appel retient la banqueroute sans expliquer en quoi les actes reprochés ont directement provoqué la cessation des paiements ou ont atteint la consistance du gage, la cassation guette. Les juges du fond doivent décrire les actes, dater les séquences, chiffrer l'atteinte et rattacher clairement le comportement au texte (L.654-2).
Le dirigeant cédant est en première ligne. S'il organise, après la cessation des paiements, des transferts d'actifs sans contrepartie réelle, s'il dissémine les stocks, s'il "insère" des créances bidons dans le bilan ou retarde l'aveu pour orchestrer une sortie d'actifs, il coche les cases du L.654-2. La responsabilité est personnelle : il faut et il suffit qu'il ait accompli ou piloté l'acte de dissipation, en connaissance de cause.
Le candidat repreneur n'est pas à l'abri. Il peut être poursuivi comme complice s'il savait la situation de cessation des paiements et participait sciemment à la soustraction d'actifs, par exemple en achetant "à vil prix" un périmètre vidé de sa substance, avec montage de complaisance ou prêt de facilitation. La jurisprudence retient la complicité lorsque l'acheteur fournit des moyens, organise la sortie d'actifs ou tolère des flux manifestement frauduleux, dès lors que l'élément intentionnel est caractérisé. Les professionnels (banquiers, conseils) peuvent eux aussi tomber sous le coup de la complicité en cas d'aide consciente à la dissipation.
Le tiers "neutre" reste protégé s'il agit de bonne foi. La Cour rappelle qu'on ne déduit pas une complicité de la seule inaction ou de l'exécution d'actes professionnels ordinaires : il faut un acte positif d'aide ou d'assistance et la connaissance de la finalité frauduleuse. Dès que ces deux éléments sont prouvés, la frontière tombe.
Le premier critère est le prix. Une cession "à vil prix" n'est pas une formule : c'est une preuve. La banqueroute par détournement d'actifs se caractérise par l'absence de contrepartie réelle ou une contrepartie manifestement dérisoire au regard de l'intérêt de l'entreprise et des conditions de marché. Les juges attendent des éléments concrets : évaluations, comparaisons, flux effectifs, usage des fonds reçus. À défaut, on bascule vers le civil (inopposabilité, nullité, ou action paulienne - par exemple, quand un créancier fait annuler la vente d'un bien sous-évalué pour le réintégrer dans le patrimoine du débiteur).
Le second critère concerne la nature de l'actif. Sont visés aussi bien les biens matériels qu'immatériels : clientèle, stock, fonds de commerce, marques, créances, trésorerie. La jurisprudence a retenu la banqueroute pour des stocks dispersés entre sociétés d'un même groupe, ou pour des créances "déplacées" par des jeux d'écritures. Ici encore, tout repose sur la traçabilité : contrats, bons de livraison, journaux bancaires, inventaires.
Le réflexe numéro un consiste à dater précisément la cessation des paiements et à reconstituer les opérations d'aliénation d'actifs autour de cette date. Le deuxième consiste à qualifier la contrepartie : facture ou prix d'apparence, paiement effectif, compensation, affectation des fonds au désintéressement des créanciers. Le troisième est probatoire : il faut geler les pièces (comptabilité, relevés, inventaires, courriels) pour documenter l'intention et la matérialité. Enfin, il faut cartographier les tiers : qui a aidé, conseillé, structuré, financé ? Selon les cas, le dossier relèvera de la nullité/inopposabilité devant le juge consulaire ou d'un référé pénal avec constitution de partie civile.
Le réflexe numéro un consiste à dater précisément la cessation des paiements et à reconstituer les opérations d'aliénation d'actifs autour de cette date. Le deuxième consiste à qualifier la contrepartie : facture ou prix d'apparence, paiement effectif, compensation, affectation des fonds au désintéressement des créanciers. Le troisième est probatoire : il faut geler les pièces (comptabilité, relevés, inventaires, courriels) pour documenter l'intention et la matérialité. Enfin, il faut cartographier les tiers : qui a aidé, conseillé, structuré, financé ? Selon les cas, le dossier relèvera de la nullité/inopposabilité devant le juge consulaire ou d'un référé pénal avec constitution de partie civile.
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