Les faits : une sanction lourde prononcée contre un entraîneur
Lors d'un match de football féminin opposant le Red Star FC au FC Fleury 91, un entraîneur du Red Star FC – présent comme spectateur – a eu une altercation avec un dirigeant adverse et s'est montré virulent envers l'arbitre.
Ces faits lui ont valu une sanction particulièrement sévère : trois ans de suspension ferme, prononcée par la Fédération Française de Football (FFF).
Une telle suspension ne l'empêchait pas seulement de fréquenter les terrains : elle bloquait aussi une opportunité professionnelle, puisqu'un club était prêt à l'embaucher sous réserve que la sanction soit levée. L'entraîneur a donc demandé, en référé, la suspension de cette sanction, devant le Tribunal administratif de Paris.
L'enjeu juridique : le droit de se taire
Au centre du litige se trouvait un principe fondamental : le droit de se taire, aussi appelé droit au silence, en procédure disciplinaire sportive.
Ce droit découle du principe selon lequel nul n'est tenu de s'auto-accuser, issu de l'article 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.
De manière constante, le Conseil constitutionnel considère que ces principes s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition, en particulier dans le cadre d'une procédure disciplinaire (pour un exemple récent : Cons. const., 18 oct. 2024, n° 2024-1108 QPC).
Concrètement, cela implique que toute personne poursuivie devant une instance disciplinaire sportive doit être préalablement informée qu'elle n'est pas obligée de répondre aux questions qui lui sont posées.
Cependant, le Conseil d'État a récemment apporté une atténuation jurisprudentielle à ce principe : si la personne sanctionnée n'a pas été informée de son droit au silence, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction qui lui a été infligée que lorsque celle-ci repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de son droit de se taire (CE, 19 déc. 2024, n° 490157).
Par conséquent, une sanction sportive peut être contestée au regard de ce principe, notamment si elle repose essentiellement sur des déclarations verbales ou écrites faites par la personne poursuivie, sans que celle-ci ait été préalablement informée de son droit au silence.
La décision du juge des référés
Saisi en urgence, le juge a décidé de suspendre la sanction.En effet, dans cette affaire, la commission régionale de discipline avait demandé à l'entraîneur un rapport écrit sur les faits, sans l'avertir de son droit au silence. Or, dans ce rapport, il avait fait état, pour la première fois, de l'altercation qui l'avait opposé au dirigeant adverse, élément qui était absent du rapport de l'arbitre.
Le juge des référés a estimé que la sanction devait être regardée comme reposant de manière déterminante sur ces observations écrites, produites sans information préalable du droit de se taire.
Cette irrégularité étant de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, il a donc suspendu la décision de la commission supérieure d'appel de la FFF.Le juge a également relevé que la sanction paraissait disproportionnée, la gravité réelle des faits et les circonstances de l'altercation n'étant pas clairement établies.
Conseils pratiques à retenir
Cette affaire rappelle plusieurs principes essentiels :
- le droit de se taire ne se limite pas aux procédures pénales : il vaut également dans les procédures disciplinaires sportives. Ignorer ce droit, en particulier en omettant d'informer la personne poursuivie de son droit au silence, peut conduire à l'annulation de la sanction en cas de contestation ;
- de manière générale, les fédérations sportives doivent respecter les garanties procédurales dont bénéficient leurs licenciés ;
- une irrégularité de procédure est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction. Les licenciés ont donc tout intérêt à vérifier ou faire vérifier la procédure qui a été suivie préalablement à la notification d'une sanction disciplinaire fédérale ;
- à l'appui d'une contestation, il est possible de critiquer non seulement la légalité externe de la sanction (respect des procédures et des formes), mais aussi sa légalité interne (bien-fondé de la sanction).
En pratique, si vous faites l'objet d'une procédure disciplinaire et constatez à cette occasion une irrégularité qui vous paraît être un vice de forme, il convient d'en prendre note et de la conserver en vue d'une éventuelle contestation ultérieure.
Attention : les vices de forme ne conduisent pas nécessairement, par principe, à une annulation de la sanction de manière automatique. Pour que tel soit le cas, il faut que le vice constaté ait été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il ait privé l'intéressé d'une garantie.