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Le mot est sec, presque infamant, et pourtant il décrit des situations très concrètes que les notaires, les avocats et les familles rencontrent chaque semaine. Le recel successoral, c'est l'héritier qui joue seul contre tous : il cache un compte, " oublie " une donation, détourne une somme, tait l'existence d'un cohéritier? Autrement dit, une manoeuvre destinée à rompre l'égalité du partage. Le droit ne s'y trompe pas : la sanction est lourde, et la jurisprudence, fournie. Voici comment les juges raisonnent, ce qu'ils exigent de prouver, et ce que risquent ceux qui s'y aventurent.
Le Code civil donne le ton. L'article 778 prévoit qu'un héritier qui recèle des biens ou dissimule un cohéritier est réputé avoir accepté la succession purement et simplement, et qu'il perd tout droit sur les biens ainsi soustraits. S'il s'agit d'une donation rapportable ou réductible, il devra la rapporter ou la réduire, sans pouvoir en réclamer la moindre part, et restituer les fruits et revenus perçus depuis l'ouverture de la succession. L'article 843 rappelle l'obligation de " rapport " : tout héritier venu à la succession doit réintégrer ce qu'il a reçu du défunt, sauf dispense expresse. Enfin, l'article 800 retire le bouclier de l'acceptation à concurrence de l'actif net à l'héritier de mauvaise foi qui a sciemment omis des éléments dans l'inventaire : il devient alors responsable des dettes sur son patrimoine personnel.
Ce dispositif est pensé pour protéger l'égalité, colonne vertébrale du partage. Pour que le recel soit retenu, les juges exigent deux ingrédients cumulatifs. D'abord un fait matériel, une vraie dissimulation ou un détournement : non-déclaration d'un compte alimenté par le défunt, silence gardé sur une donation antérieure, retrait et conservation de liquidités, maintien sous le radar d'un coffre ou d'un bien. Ensuite une intention frauduleuse : la volonté de fausser la règle du jeu au détriment des autres. La simple erreur, l'oubli isolé, la confusion comptable ne suffisent pas.
La ligne jurisprudentielle est claire depuis des années et s'est affinée récemment. Les juridictions exigent des éléments positifs de dissimulation et apprécient la mauvaise foi in concreto : qui savait quoi, quand, et pourquoi a-t-on gardé le silence ? Des cas typiques reviennent. L'héritier qui a encaissé des virements réguliers du défunt et ne les révèle pas au notaire ; celui qui, avant le décès, a fait financer un bien par le futur défunt puis a affirmé que les deniers étaient personnels ; celui encore qui oppose pendant des mois un mur de silence aux cohéritiers réclamant des relevés, tout en tenant des déclarations mensongères. Dans ces hypothèses, les cours d'appel retiennent volontiers un faisceau d'indices concordants : montage juridique de façade, absence de contrepartie réelle, rapidité inhabituelle à clore la succession, refus persistant de communiquer, incohérences dans les versions. À l'inverse, la révélation spontanée d'une donation, intervenue avant l'assignation, a déjà suffi à faire tomber l'accusation : les juges y voient un repentir réel qui assèche l'intention frauduleuse.
Un point important revient dans les dossiers d'épargne et d'assurance. Les comptes joints ne suffisent pas, seuls, à emporter le recel : encore faut-il démontrer que l'héritier a détourné à son profit des fonds qui appartenaient au défunt. Quant à l'assurance-vie, elle reste, sauf abus caractérisé, hors du périmètre du recel successoral : ce n'est pas une libéralité ordinaire et le traitement juridique diffère, même si des primes manifestement exagérées peuvent rouvrir le débat sur un autre terrain.
Quand la qualification tombe, la sanction est automatique et dissuasive. L'héritier receleur perd toute part sur le bien recelé : s'il a tu une donation, il en supporte le rapport ou la réduction mais n'en profite plus. Il doit en outre restituer les fruits, loyers, intérêts et tout avantage perçu depuis l'ouverture de la succession. Parce que le recel emporte une acceptation pure et simple rétroactive, il ne peut plus se retrancher derrière l'acceptation à concurrence de l'actif net pour limiter son exposition aux dettes. Les juges ajoutent fréquemment des dommages et intérêts au profit des cohéritiers lésés. Et, si la dissimulation a contaminé des actes authentiques ou des écritures, le dossier peut déborder sur le terrain pénal : faux, usage de faux, abus de confiance, voire blanchiment selon les flux.
Dans une fratrie, l'aîné gère de longue date les finances de la mère. Des virements réguliers de plusieurs dizaines de milliers d'euros sont opérés sur son compte personnel les cinq dernières années. Au décès, il omet ces mouvements dans la déclaration et refusera pendant un an de produire les relevés demandés par le notaire. Les juges ont considéré que l'addition de transferts non justifiés, du refus de transparence et de contradictions dans les explications révélait une intention de rompre l'égalité. Recel retenu, restitution intégrale des sommes et des intérêts, perte de tout droit sur ces montants dans le partage.
Un conjoint survivant déclare avoir acquis un appartement grâce à des deniers propres. L'enquête patrimoniale révèle que l'achat a été entièrement financé par le défunt, sans qu'aucune donation ne soit déclarée à l'ouverture des opérations de liquidation. Malgré les interpellations, le conjoint s'est contenté de renvoyer les enfants vers le notaire pour une succession qu'il pressait de clore. Les juges ont vu des man?uvres dolosives, caractérisant une donation déguisée tenue secrète : recel, rapport sans part, restitution des loyers perçus.
Dans une autre affaire, un fils avait initialement omis des dons manuels anciens, mais les a dévoilés spontanément au notaire avant toute assignation, pièces à l'appui. Aucune opposition à la réintégration n'a été constatée. Les magistrats ont écarté le recel faute d'intention frauduleuse, tout en ordonnant le rapport des dons. Un rappel utile : la transparence rapide peut sauver l'égalité sans basculer dans la sanction la plus sévère.
La prévention commence dès le premier rendez-vous au notariat. Il faut inventorier, vraiment. Comptes, coffres, contrats, virements inter-comptes, financements croisés d'acquisitions, prêts intrafamiliaux : tout doit être posé sur la table et documenté. Le réflexe " on verra plus tard " est le meilleur accélérateur de contentieux. Il faut rapporter, loyalement. Une donation non explicitement " hors part " est rapportable. Attendre en se taisant transforme une question de calcul en accusation de fraude. Il faut répondre, sans traîner. Aux demandes écrites des cohéritiers comme aux sollicitations du notaire, une non-réponse prolongée pèse très lourd dans l'analyse de la mauvaise foi. Il faut qualifier, correctement. Assurance-vie, biens indivis, comptes joints, remploi, récompenses : avant de contester, mieux vaut sécuriser la qualification avec un avocat et, si besoin, un expert-comptable. Et, s'il y a eu un loupé, il faut révéler vite et précisément : la révélation spontanée, pièces à l'appui, avant l'assignation, a déjà permis d'éviter le basculement en recel.
Le recel successoral n'est pas une sévérité théorique. C'est la réponse juridique à une réalité simple : l'héritier qui triche perd l'avantage tiré de sa tricherie et s'expose à payer plus qu'il n'a voulu gagner. La jurisprudence n'exige pas l'aveu, elle se contente d'indices solides : un montage de façade, une dissimulation persistante, des silences calculés, des incohérences répétées. Face à cela, la meilleure stratégie reste toujours la même : transparence, traçabilité, loyauté. C'est la seule manière de préserver à la fois l'égalité entre héritiers et la paix des familles.
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