Cher monsieur,
C'est une situation classique et souvent conflictuelle en matière de démembrement de propriété. En tant que nu-propriétaire, vous avez des droits et des obligations, tout comme l'usufruitière (la veuve de votre père). La loi est assez claire sur le partage des charges et des travaux.
Il convient de distinguer plusieurs points dans votre situation.
Le partage des charges entre nu-propriétaire et usufruitier
Le Code civil (articles 605 et 606) définit précisément qui doit faire quoi :
L'usufruitier (la veuve de votre père) : Elle est responsable des réparations d'entretien. Cela inclut tous les travaux nécessaires pour maintenir le bien en bon état d'usage, à l'exception des grosses réparations. Par exemple : l'entretien courant de la toiture (nettoyage des gouttières, petites fuites, tuiles cassées isolées), les petites réparations des murs, l'entretien des revêtements de sol, la chaudière, etc. Elle doit jouir du bien "en bon père de famille", ce qui implique de l'entretenir correctement. Si elle n'entretient pas correctement la maison, c'est une faute.
Le nu-propriétaire (vous) : Vous êtes responsable des grosses réparations. Ce sont celles qui concernent la structure et le gros œuvre de l'immeuble. L'article 606 du Code civil les liste comme étant "celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi entier." La réfection complète d'une toiture est généralement considérée comme une grosse réparation et vous incombe.
Le cas du toit et le devis de votre père
Le fait que le devis pour le toit ait été fait il y a dix ans par votre père et que l'usufruitière en avait connaissance ne change malheureusement pas la nature des travaux. Si la toiture nécessite aujourd'hui une réfection complète (une "couverture entière" au sens de l'article 606), il s'agit bien d'une grosse réparation qui incombe au nu-propriétaire.
Le fait que l'usufruitière n'ait pas alerté plus tôt ou n'ait pas fait réaliser des réparations d'entretien qui auraient pu éviter l'aggravation n'est pas simple à prouver et à faire valoir pour transférer la responsabilité d'une "grosse réparation" sur elle. La jurisprudence est souvent exigeante pour caractériser un manquement de l'usufruitier qui transformerait une grosse réparation en réparation d'entretien à sa charge.
Vos recours pour qu'elle assure son devoir d'entretien
Si vous estimez qu'elle n'entretient pas correctement la maison (c'est-à-dire qu'elle ne fait pas les réparations d'entretien qui lui incombent, distinctes des grosses réparations) ou qu'elle laisse le bien se dégrader volontairement, vous avez plusieurs recours :
Mise en demeure formelle :
Adressez-lui un courrier recommandé avec accusé de réception (LRAR) lui rappelant ses obligations d'entretien selon les articles 605 et 606 du Code civil. Demandez-lui de procéder aux travaux d'entretien qui relèvent de sa responsabilité, en précisant lesquels et en fixant un délai. Vous pouvez joindre des photos si vous avez des preuves du mauvais entretien.
Mise en demeure de ne pas dégrader le bien :
Si vous constatez des dégradations dues à un défaut d'entretien, vous pouvez la mettre en demeure de cesser ces agissements et de remettre en état.
Action en justice pour manquement à l'obligation d'entretien :
Si elle ne réagit pas ou continue de laisser le bien se dégrader par défaut d'entretien (qui relève de sa charge) :
Vous pouvez saisir le Tribunal Judiciaire pour la contraindre à exécuter ses obligations.
Vous pourriez même demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la dégradation du bien.
Dans les cas les plus graves de défaut d'entretien mettant en péril le bien, il est théoriquement possible de demander la déchéance de l'usufruit (article 618 du Code civil), mais c'est une mesure très rare et extrême, réservée aux situations où l'usufruitier "abuse de sa jouissance" ou "laisse dépérir le fonds". La preuve est très difficile à apporter.
Gérer la demande pour la toiture
Concernant la toiture, si c'est bien une "grosse réparation" :
Votre obligation : La loi vous rend responsable de ces travaux. Vous ne pouvez pas la forcer à les payer.
La notion d'urgence et de "mise en péril" : Si le toit est vraiment en mauvais état, il pourrait y avoir un risque pour l'intégrité de la maison ou pour la sécurité des occupants. Dans ce cas, il est dans votre intérêt de faire les travaux pour préserver votre bien.
Ne pas payer d'entretien courant : Assurez-vous que le devis concerne bien une "grosse réparation" et non des réparations d'entretien courant.
Ce qu'il faut faire concrètement :
Faites constater l'état de la maison : Il est impératif de faire venir un expert en bâtiment pour qu'il établisse un rapport détaillé sur l'état général de la maison, en distinguant clairement ce qui relève de l'entretien courant (à la charge de l'usufruitière) et ce qui relève des grosses réparations (à votre charge). Ce rapport sera votre pièce maîtresse.
Communiquez formellement : Sur la base du rapport d'expert, envoyez un courrier recommandé avec accusé de réception à la veuve de votre père.
Listez les travaux d'entretien qui lui incombent et mettez-la en demeure de les faire réaliser.
Concernant la toiture, si l'expert confirme que c'est une grosse réparation, informez-la de votre intention (ou non) de la faire réaliser et demandez-lui de ne pas faire obstacle.
Consultez un avocat : Au vu des tensions et des montants potentiels, il est fortement recommandé de consulter un avocat spécialisé en droit immobilier ou en droit des successions. Il pourra analyser votre situation précise, rédiger les courriers juridiquement pertinents et, si nécessaire, vous représenter devant le tribunal pour la contraindre à ses obligations d'entretien.
Vous avez des recours pour faire valoir vos droits et la contraindre à respecter ses obligations d'entretien. Cependant, la distinction entre grosses réparations et réparations d'entretien est essentielle et doit être établie par un professionnel pour étayer vos demandes.
Merci d’indiquer que j’ai répondu à votre question en cliquant sur le bouton vert de ma réponse.
Cliquez ici pour commenter la réponse ci-dessus