Bonjour,
Votre inquiétude est tout à fait légitime et votre analyse des risques est pertinente. En tant que consultant en portage salarial, la question de la propriété intellectuelle (PI) de vos projets personnels est cruciale, surtout face à des clauses de cession très larges. Le fait que vous ayez votre propre société avec des projets tech en cours rend la situation encore plus délicate.
Le client a raison de dire que vous n'êtes pas "partie" à l'accord entre la société de portage et lui, mais cela ne signifie absolument pas que vous n'êtes pas affecté(e) par cet accord.
Analyse des risques et de la portée des clauses
Risque de chaîne de cession : même sans clause explicite dans votre contrat de portage, êtes-vous affecté(e) ?
Oui, le risque est très élevé. Voici pourquoi :
Lien de subordination en portage salarial : Même si vous êtes "autonome" dans votre mission, le contrat de portage salarial est un CDI. Il instaure un lien de subordination juridique entre vous et la société de portage. Par défaut, les créations que vous réalisez dans le cadre de votre contrat de travail (y compris en portage salarial, car c'est un CDI) appartiennent à votre employeur, la société de portage (article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle - CPI - pour les œuvres de l'esprit, et article L. 611-7 du CPI pour les inventions de salariés, sous certaines conditions).
Contrat tripartite implicite : La société de portage agit comme un intermédiaire. Si elle s'engage à céder des droits au client final, elle attendra de vous, en tant que son salarié, que vous lui apportiez ces droits. Sans clause spécifique dans votre CDI de portage, il pourrait être présumé que ce que vous produisez pour le client final lui appartient, et donc à la société de portage, qui le cède ensuite au client.
"Confirmatory IP Assignment" : Ce type d'accord est justement destiné à formaliser et confirmer des cessions de droits, souvent pour remonter la chaîne de création jusqu'à l'auteur initial (vous).
Protection de vos projets personnels : Comment les protéger efficacement ?
C'est la priorité absolue.
Antériorité : Pour vos projets existants, il est crucial d'établir leur antériorité par rapport au début de votre mission. Datage, horodatage, dépôts (INPI pour logiciels, brevets ; enveloppe Soleau pour idées/concepts ; huissier de justice).
Distinction claire : Vous devez pouvoir prouver que vos projets personnels sont distincts et indépendants des "Works" et "Related Rights" de votre mission.
Nature des projets : Le fait que le domaine technique soit "similaire" est un drapeau rouge majeur. C'est précisément là que le risque de confusion et de litige est le plus fort.
Portée des clauses très larges : "pertains to, or results from or is suggested by" et "block or interfere"
Ces formulations sont extrêmement dangereuses et potentiellement abusives/illégales si elles sont interprétées de manière trop large.
"pertains to, or results from or is suggested by" : Cette clause est conçue pour capter un maximum de créations. Elle cherche à s'étendre à tout ce qui est lié de près ou de loin à la mission, même si ce n'est pas directement le résultat d'une tâche assignée. Cela pourrait potentiellement englober des réflexions ou des développements que vous auriez en dehors des heures de travail mais qui auraient été suggérés par le contexte de la mission.
"Related Rights" / "block or interfere" : Cette clause est encore plus agressive. Elle vise à obtenir une licence sur toute votre PI qui pourrait "bloquer" ou "interférer" avec l'utilisation des droits du client. Cela pourrait inclure des bases technologiques que vous avez développées personnellement et qui pourraient être considérées comme nécessaires pour exploiter les "Works" cédés. C'est une tentative de s'immiscer dans votre portefeuille PI personnel.
Légalité : En droit français, les cessions de droits de PI doivent être strictement interprétées et les droits cédés doivent être déterminés. Une clause de cession très large et générale sur des œuvres futures non encore créées et non précisément déterminées est souvent considérée comme nulle ou sans effet par les tribunaux français (article L. 131-1 et suivants du CPI). Cependant, cela ne vous protège pas d'un litige coûteux et long.
Action recommandée
Vous avez raison : le fait de ne pas être partie à l'accord ne règle rien. C'est votre employeur (la société de portage) qui est contraint, et elle va reporter cette contrainte sur vous.
Vous devez ABSOLUMENT conditionner la signature de votre CDI de portage à des amendements et/ou des exclusions très claires concernant la PI de vos projets personnels. Le contrat de portage standard ne vous protégera pas suffisamment face à un accord aussi agressif entre la société de portage et le client.
Voici les démarches recommandées :
Réunir les documents :
Le projet de "Confirmatory IP Assignment" entre la société de portage et le client final.
Le projet de votre contrat de travail en CDI avec la société de portage.
Analyser et lister vos projets personnels :
Dressez une liste exhaustive de tous vos projets tech personnels, avec leurs dates de création, leurs spécificités techniques, leurs applications et leurs clients visés.
Assurez-vous d'avoir des preuves d'antériorité solides (dépôts horodatés, enregistrements INPI, etc.).
Négocier des clauses spécifiques dans votre CDI de portage :
Clause d'exclusion explicite : Insistez pour l'insertion d'une clause claire dans votre CDI de portage qui :
Exclut formellement de toute cession de PI les projets personnels que vous avez listés et dont l'antériorité est établie. Mentionnez-les par leur nom ou par une description précise et leur domaine d'application, en précisant qu'ils n'ont aucun lien avec la mission en cours.
Précise que toutes les créations futures réalisées en dehors de votre temps de travail et sans utilisation de moyens ou ressources du client ou de la société de portage, et qui ne sont pas directement et spécifiquement liées à l'objet de votre mission pour le client, restent votre pleine propriété.
Définition précise des "Works" : Tentez de limiter la définition des "Works" dans votre contrat de portage aux livrables spécifiques de votre mission, clairement définis dans un cahier des charges ou un ordre de mission.
Licence limitée pour "Related Rights" : Si une clause de "Related Rights" est inévitable (ce qui est déjà problématique), tentez d'en limiter drastiquement la portée : licence non-exclusive, limitée à l'usage spécifique des "Works" de la mission, non transmissible, sans droit de sous-licencier, et uniquement pour les "Related Rights" qui sont indispensables à l'exploitation des livrables de la mission.
Implication de la société de portage :
La société de portage doit comprendre votre problématique. C'est son rôle de vous protéger en tant que son salarié. Elle doit être capable de négocier avec le client final une limitation de la portée de leur accord IP pour ne pas impacter vos projets personnels.
Si la société de portage n'est pas réceptive ou capable de négocier ces protections, cela devrait vous alerter sur sa capacité à défendre vos intérêts.
Ne signez rien sans ces protections : Vu l'ampleur des clauses proposées par le client final, signer sans avoir des clauses protectrices dans votre propre CDI de portage serait prendre un risque considérable pour l'avenir de vos projets personnels.
Conseil juridique indispensable
Compte tenu de l'enjeu et de la complexité du droit de la propriété intellectuelle et du droit du travail, il est absolument indispensable de consulter un avocat spécialisé en droit de la propriété intellectuelle et/ou en droit du travail avant de signer quoi que ce soit.
Un avocat pourra :
Analyser en détail les deux projets de contrat et l'accord client/société de portage.
Identifier précisément les risques pour vos projets.
Rédiger les clauses protectrices spécifiques à insérer dans votre contrat de portage.
Vous conseiller sur la meilleure stratégie de négociation avec la société de portage.
La prudence est de mise face à des clauses aussi larges. Ne sous-estimez jamais le risque.
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