Cher monsieur,
Votre analyse est très pertinente et vous avez identifié un point crucial du droit processuel : le principe de l'irrecevabilité d'une nouvelle demande après une décision d'incompétence.
L'article 81 du Code de Procédure Civile (CPC) que vous citez est fondamental :
"Le juge qui se déclare incompétent désigne la juridiction qu'il estime compétente. Cette désignation s'impose aux parties."
Cela signifie que si le premier juge a rejeté la demande d'expulsion de votre adversaire en se déclarant incompétent, il avait l'obligation de désigner la juridiction qu'il estimait compétente pour traiter cette demande (par exemple, le Tribunal Judiciaire si c'était un Tribunal de Proximité, ou une autre chambre si c'était une question de compétence matérielle).
La "désignation s'impose aux parties" : Cela implique que votre adversaire devait saisir la juridiction désignée par le premier juge. Il ne pouvait pas se contenter de refaire la même demande devant une autre juridiction de son choix, à moins que le premier juge n'ait pas désigné de juridiction ou se soit contenté de déclarer une incompétence "absolue" sans renvoi.
Vous indiquez que la première page du jugement renvoyait au recours, stipulant que le jugement était susceptible d'appel dans un délai d'un mois. Cela ne signifie pas que le juge s'est déclaré incompétent et a désigné la Cour d'Appel comme juridiction compétente pour juger le fond de l'expulsion.
L'appel est une voie de recours contre une décision du juge. Si le juge s'est déclaré incompétent, la décision d'incompétence est elle-même susceptible d'appel. Cela signifie que votre adversaire aurait dû faire appel de la décision d'incompétence s'il n'était pas d'accord avec cette déclaration d'incompétence ou la désignation de la juridiction compétente.
Si le juge a rejeté la demande pour incompétence et n'a pas désigné de juridiction spécifique, ou s'il s'est déclaré incompétent ratione materiae sans renvoi automatique, alors la situation pourrait être différente.
La démarche de votre adversaire est-elle dilatoire et peut-elle être rejetée en fin de non-recevoir ?
Oui, la démarche de votre adversaire est potentiellement irrecevable et dilatoire.
Si le premier juge a effectivement statué sur son incompétence et, le cas échéant, désigné la juridiction compétente, votre adversaire devait suivre cette voie. En ne faisant pas appel de la décision d'incompétence et en saisissant directement le TGI (maintenant Tribunal Judiciaire) 7 mois plus tard, il y a plusieurs arguments pour contester sa nouvelle demande :
L'autorité de la chose jugée sur la compétence (Article 480 CPC) : La décision du premier juge sur son incompétence est devenue définitive (car non contestée en appel). Si ce juge avait désigné une juridiction, cette désignation s'impose.
L'irrecevabilité pour contrariété à une décision passée en force de chose jugée (si le juge a déjà statué sur la compétence) : Si le premier jugement a déclaré le tribunal incompétent et a désigné la juridiction compétente (par exemple le TGI, mais de manière formelle), alors la nouvelle assignation de votre adversaire ne respecte pas cette désignation.
L'irrecevabilité de la nouvelle demande pour cause d'autorité de chose jugée ou de litispendance/connexité (si le motif d'incompétence n'était pas lié à la désignation d'une autre juridiction) : Il est crucial de lire très attentivement le motif exact pour lequel le premier juge s'est déclaré incompétent.
S'il a rejeté la demande d'expulsion au fond et s'est ensuite déclaré "incompétent pour juger certaines choses" (ce qui est un peu contradictoire), la situation est plus complexe et il faut déterminer si le rejet de la demande d'expulsion est définitif ou non.
Si le juge a rejeté la demande d'expulsion uniquement parce qu'il était incompétent, alors il s'agit d'une décision sur la compétence. S'il n'a pas désigné la juridiction et s'est contenté de déclarer son incompétence matérielle ou territoriale, alors l'adversaire pourrait théoriquement saisir la bonne juridiction, mais le délai de 7 mois est important.
Que faire face à cette assignation ?
Relisez très attentivement le premier jugement :
Quelle est la phrase exacte concernant l'incompétence ? Le juge s'est-il déclaré incompétent pour statuer sur la demande reconventionnelle d'expulsion ?
A-t-il expressément désigné le Tribunal Judiciaire comme étant la juridiction compétente ?
Ou a-t-il simplement dit que le jugement d'incompétence était susceptible d'appel ?
Prenez impérativement un avocat : Vous êtes assignée, il est donc essentiel d'être représentée. Un avocat pourra :
Analyser précisément le premier jugement : C'est la clé de votre défense. Il saura interpréter les motivations du juge.
Soulever une fin de non-recevoir : Si le premier juge s'est déclaré incompétent et a désigné le TGI (ou si son incompétence était telle qu'une nouvelle saisine était nécessaire dans un certain délai ou selon des modalités spécifiques), votre avocat pourra soulever une fin de non-recevoir.
Argumenter le caractère dilatoire et abusif : Le fait que votre adversaire attende 7 mois pour réassigner après ne pas avoir fait appel est un argument fort pour caractériser une action dilatoire et éventuellement abusive.
Conclusion :
Votre intuition est bonne : il y a de fortes chances que l'action de votre adversaire soit contestable. Le premier jugement a créé un cadre juridique précis. S'il s'est déclaré incompétent, votre adversaire avait une marche à suivre (appel de la décision d'incompétence ou saisine de la juridiction désignée). Ne pas avoir respecté cela pourrait rendre sa nouvelle assignation irrecevable.
Ne restez pas seule face à cette nouvelle assignation. Prenez contact sans tarder avec un avocat spécialisé en droit immobilier ou en procédure civile. Il saura défendre vos intérêts.
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