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Signer un bail commercial sans en avoir étudié chaque recoin juridique, c'est un peu comme installer un étalage de pots de confiture au beau milieu d'une autoroute : l'enthousiasme est là, mais la trajectoire promet d'être chaotique. En France, le statut des baux commerciaux, ancré aux articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce, offre au locataire le droit au renouvellement après neuf ans et encadre les règles de fixation et de révision du loyer, tandis que le propriétaire bénéficie de la garantie d'une relation contractuelle stable? à condition de ne pas noyer l'accord sous des clauses mal ficelées.
Le premier faux pas possible peut survenir dès la négociation de la durée du bail. Par défaut, on évoque le fameux " bail 3-6-9 " : neuf années d'engagement avec possibilité pour le preneur de résilier à l'issue de chaque triennale, moyennant un préavis de six mois (article L. 145-5). Pourtant, certains bailleurs tentent d'imposer des durées supérieures à la durée théorique de principe de 9 ans, ne serait-ce qu'une durée de 10 années, parfois 12. Or, une telle durée est susceptible de constituer un juste motif de déplafonnement du loyer, ce qui permettrait au bailleur de déterminer, à l'occasion du renouvellement de bail, un loyer par rapport à la valeur locative sans se heurter aux règles de plafonnement instaurées par la Loi Pinel de 2014. Il convient donc d'être très vigilant en tant que locataire sur ce point avant de signer le bail.
Le Bailleur peut également tenter de verrouiller des clauses en stipulant des motifs de résiliation anticipée pour des motifs divers et variés. Or, sauf à retranscrire des motifs expressément prévus au Code de commerce, de telles clauses sont le plus souvent réputées non écrites dès lors qu'elles portent atteinte à l'ordre public du statut et aux droits du Preneur. Autrement dit, vouloir verrouiller le locataire au-delà de ce cadre, c'est s'exposer à voir la clause purement et simplement annulée en cas de litige. Pour autant, bien rédiger son bail commercial, c'est déjà écarter un peu plus le risque de se retrouver en contentieux pour l'annulation d'une telle clause.
On a beau répéter que l'Indice des Loyers Commerciaux (ILC) ou l'Indice des Loyers des Activités Tertiaires (ILAT) servent de baromètre, rares sont les entrepreneurs à éplucher suffisamment l'historique de ces indices avant de signer. Parfois même, c'est tout simplement le mauvais indice qui est indiqué dans l'acte. Résultat, un loyer initial étrangement doux peut se muer, au fil des années, en marathon financier face à des hausses insoupçonnées. Pire encore et bien qu'illégales, certaines conventions comportent des clauses d'indexation asymétriques qui ne prévoient qu'une révision à la hausse. De tels abus sont systématiquement censurés par la jurisprudence, mais pas avant qu'un contentieux n'ait coûté des mois et des milliers d'euros de frais d'avocat aux parties.
Pour un profane des baux commerciaux, la répartition des charges et des travaux constitue un véritable champ de mines. Là où le Code civil distingue réparations " locatives ", à la charge du preneur, et grosses réparations incombant au bailleur (article 606), certains contrats tentent d'élargir la quote-part du commerçant à la façade, à la toiture... ou même aux volets de la boutique voisine ! Face à pareilles clauses, mieux vaut exiger un inventaire précis des travaux (au moyen d'un tableau par exemple) et faire figurer expressément dans le bail un engagement clair du bailleur sur les gros travaux.
La clause de destination, souvent reléguée au rang de simple formule - " tous commerces sauf nuisances " -, mérite davantage d'attention. Un commerçant de textile qui se voit interdire de vendre, par exemple, autre chose que des vêtements pour femmes découvrira, au moment de saisir la justice, qu'exercer une activité de prêt-à-porter masculin ou enfantin est jugé hors destination et justifie une résiliation judiciaire.
Le risque d'une rédaction trop restrictive de la clause de destination serait de se voir imputé l'exercice d'une activité non autorisée contractuellement. Une telle pratique expose le locataire, parfois de bonne foi, à une notification de déplafonnement du loyer par le Bailleur, notamment à l'occasion du renouvellement du bail.
À l'inverse, une rédaction trop vague peut être sanctionnée en justice pour imprécision : une jurisprudence de la Haute juridiction de 2023 rappelle que la notion de " tous commerces " introduite dans une clause de destination ne vaut pas forcément " allié à l'urbanisme local ". Ainsi, mieux vaut rédiger une clause suffisamment large pour suivre l'évolution de l'entreprise, tout en cadrant assez fermement pour éviter notamment et selon les termes prévus contractuellement la concurrence non désirée à l'intérieur du même immeuble.
Réserver un paragraphe à la faculté du preneur de procéder à une cession ou une sous-location ne relève certainement pas du luxe.
Quand le bailleur exige un agrément préalable pour toute cession, on entre dans une négociation à haut risque : une telle clause est, sous conditions, reconnue valable par la jurisprudence. Conditionner la cession à l'accord du propriétaire sans critère objectif peut décourager tout acheteur potentiel et réduire de manière drastique la valeur du fonds de commerce. Quant à la sous-location, si elle n'est pas expressément autorisée dans le contrat, chaque remise de clés devient un acte de piraterie contractuelle, susceptible d'entraîner la résiliation du bail à défaut d'obtenir une dérogation expresse du bailleur (si cela est possible). La liberté de céder ou de sous-louer, bien que n'étant généralement pas prévue lors de la conclusion du bail, est indubitablement un actif qu'il faut négocier dès le départ.
Au final, éviter ces quelques pièges, tout comme à la multitude d'autres embuches existantes en la matière, c'est consacrer à son futur bail commercial autant d'attention qu'à sa vitrine, son site internet ou son stock. Mieux vaut une négociation méticuleuse, si besoin ou si possible assistée d'un avocat intervenant en la matière, qu'un face à face ultérieur crispé, ou pire, devant le tribunal. Et pour ceux qui rêvent encore d'un bail sans aucune embûche, rappelons qu'il n'existe pas de contrat parfait, juste une vigilance inlassable : à vos stylos, entrepreneurs, car un bail bien rédigé est le premier allié, voire le meilleur allié, du lancement d'une activité, sans fausse note ni embardée imprévue.
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